lundi 3 février 2014

L’écotaxe en sursis, un écolo doit-il s’en réjouir ?

En fin d’année dernière le mouvement dit des bonnets rouges aura eu raison de l’écotaxe. Mobilisés essentiellement en Bretagne, des activistes de tous poils (chefs d’entreprises parmi les plus polluantes notamment dans l’agroalimentaire, élus à double discours, population manipulée…) ont eu raison d’une des mesures phares issues du Grenelle de l’environnement où elle n’avait pourtant pas suscité d’autant d’émoi.

Les environnementalistes qui espèrent depuis des décennies un report de la route vers des modes de déplacement moins impactant  doivent-ils s’inquiéter de ce reniement ou faire contre mauvaise fortune bon cœur ?

L’écotaxe est une redevance payée au kilomètre parcouru par tous les véhicules de plus de 3,5t (quelques exceptions) circulant hors autoroutes payantes. C’est un dispositif fiscal à visée incitative dans le sens quil obligerait les entreprises à privilégier les modes de déplacement les moins polluant (les camions les plus vieux seraient plus taxés, le fait d’être chargé ou non impacte l’écotaxe…) en tablant sur un report modal (vers le rail, le fluvial) ainsi que vers les circuits courts (relocalisation de l’économie).

Il existe un certain nombre de présupposés en faveur d’une écotaxe poids lourds mais aussi beaucoup de craintes quand à son efficacité et à ses finalités.


Hors des autoroutes payantes, aucune redevance, aucun péage ne gêne la cohorte de camions qui circule dans notre pays extrêmement bien situé sur les routes commerciales de l’Europe (façade maritime ; flux sud-nord pour les fruits et légumes par ex…). Les conditions d’accès à ce réseau très étendu paraissent illimitées et ne font que renforcer toujours plus l’emprise du tout routier : augmentation du tonnage des véhicules (44 t) réduction de la taxe à l’essieu ont été parmi les derniers cadeaux accordés à la profession (800 M d’euros de cadeaux fiscaux).
Dans le même temps certain des pays qui nous entourent (Allemagne et Suisse par ex.) ont instauré des taxes poids lourds dans l’espoir de faire baisser la pression de ce mode de transport sur leur économie et leur environnement.
Sur les transports transnationaux, déjà marqués par le dumping social, une nouvelle distorsion apparaissait qui voyait les camions (200 000 immatriculés à l’étranger) profiter des routes nationales en France (au détriment de la sécurité des autres usagers) pour engranger des gains en vue de dépenses dans la traversée des pays à écotaxe.

Le transport routier sous tarifé est le bras armé d’une économie mondialisée et on sait pour avoir suivi les débats à ce sujet lors du congrès de France Nature Environnement en mars dernier à Clermont-Ferrand, que sa part n’est pas prêt de diminuer.
En taxant les poids lourds à la distance parcourue et à la tonne, on augmente le prix du transport longue distance, mais est-ce qu’on tend pour autant à rapprocher la production de la consommation ? C’est incertain. En effet le transport reste particulièrement bas dans le coût d’un produit, même augmenté d’écotaxe, de mesures d’atténuation du dumping social (rapprochement fiscal et social des économies européennes…). L’impact de l’écotaxe sur un bien de consommation serait de l’ordre de 0,1 à 0,4% (FNE lettre du hérisson n° 252). On peut douter que cette « augmentation » soit de nature à modifier le comportement des chargeurs et des routiers !
L’objectif à atteindre via la taxe poids lourds pourrait être d’ambition plus mesurée, celle d’un renouvellement du parc  de véhicules au profit d’engins plus économes en carburant et moins polluants, et celle d’une meilleure logistique (optimisation des chargements). Ca ne serait déjà pas si mal étant donnée la gabegie actuelle.
On peut sans doute espérer qu’elle opère, sur une fraction mesurée, une réelle réduction plus qu’un déplacement des flux, mais cela restera probablement marginal, tant que les montants resteront faibles (8,8 à 15,4 centimes le kilomètre) et que de nombreuses exceptions demeureront validées (réduction du taux de 30% en Midi-Pyrénées et Aquitaine, de 50% en Bretagne –avant les manifestations !).
 
Le principe d’une taxe « à l’aveugle » est aussi de nature à inquiéter l’environnementaliste. Le débat sur le principe du pollueur payeur qui semble avoir les faveurs de la mouvance écolo est-il suffisamment débattu ? Sait-on qu’il entraine les concepts de « droits ou permis de polluer » ? qu’il porte peut être en germe l’idée d’une individualisation des problèmes et des solutions, qui verrait des clients ne payer que ce qu’ils consomment ou utilisent plutôt que des usagers qui financent un service mutualisé ? Cette question préoccupe déjà les acteurs du déchet,un domaine où il serait tentant d’instaurer un système où on ne paierait qu’au poids de ses ordures et non à leur qualité ou au niveau de tri effectué (ce qui n’est pas toujours corrélé) avec toutes les dérives qu’on imagine pour se soustraire au paiement (décharges sauvages…).
Le parallèle est tentant entre ces deux cas de taxe et de nécessité de changer les comportements sinon les mentalités.
Sur ces différentes approches, il faut avoir peu d’esprit critique pour ne pas constater que notre fédération nationale  verse un peu trop schématiquement (voir dogmatiquement) vers des approches économiques et surtout fiscales dans la résolution des questions environnementales. Il appartient aux militants de faire savoir que ces orientations les interrogent.

Au-delà des grandes intentions, une taxe est avant tout une recette qu’il convient d’utiliser. L’écotaxe est fléchée (on a beaucoup parlé du contrat de redevance mais c’est l’arbre qui cache la forêt) vers la modernisation des infrastructures de transports, dont les routes qui malheureusement n’en ont pas été exclues. L’addiction à la bagnole, les discours sur l’enclavement, l’énorme besoin d’entretien d’un réseau pléthorique ne font douter personne que l’essentiel des fonds récoltés via l’écotaxe auraient servis à la route (et non au fleuve ou au rail).

 Sur les 1,5 milliard d’€uros qui devaient être perçus (ce qui donne une idée de la circulation routière) 750 M devaient aller à l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport et 150 M d’€uros aux collectivités locales.
On comprend mieux le bel unanimisme politique qui avait prévalu à l’adoption de l’écotaxe suite au Grenelle. Moins pourquoi il a volé en éclat à l’apparition de quelques bonnets rouges !
Comment ne pas être confondu lorsque quelques caciques départementaux dont les groupes politiques ont pourtant voté sa mise en œuvre, ont crié avec les loups en appelant à exonérer l’économie cantalienne de cette « taxe écolo » au prétexte sans cesse répété que « nous subissons des handicaps », que « notre enclavement nous dessert suffisamment »…
Ainsi, le sénateur de l’ouest cantalien qui fait depuis 40 ans son antienne du « désenclavement » routier, aérien, n’a-t-il point lu un récent rapport sénatorial qui concluait qu’il manque 50% du budget prévu à l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport, au vu des (trop) nombreux projets de routes, ronds-points, rocades demandées par tous les élus locaux ?
Il aurait sans doute du pour éviter de découvrir bien tardivement que l’Etat n’a pu boucler le financement de la déviation de la RN 122 au sud d’Aurillac (dont les travaux avaient été sous-estimés de 18M € pour en masquer l’inanité sans doute ?!) et que cette opération tant attendue des soit disant « forces vives » était suspendue à la mise en place de l’écotaxe honnie !

Alors oui sans doute peut-on trouver motif à se féliciter de la probable disparition de l’écotaxe si elle entraine avec elle les travaux si destructeurs de nos écosystèmes parmi lesquels la rocade de Saint-Flour, la déviation sud-ouest de Vichy, le contournement de Cournon…des projets qui vont tous à l’encontre d’un report du tout routier vers des modes de déplacement plus vertueux.

J.Bec
FDANE Cantal

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