Au milieu du XXème siècle, le dernier loup
d'Auvergne est abattu. En 2020, la présence d'au moins 2 loups
de souche italienne est avérée dans les Monts du Cantal. Entre ces dates
beaucoup d'évènements se sont accumulés. Retour sur un retour.
Dans la nature,
le loup craint l'homme et le fuit, et le promeneur n'a rien à craindre de cet
animal. Mais au cours de l'histoire notamment en Europe, des cas d'anthropophages se sont produits. Nier ce fait ne tient pas l'analyse des
données historiques même si beaucoup de faits ont certainement été amplifiés ou
inventés. Il n’en reste pas moins, qu’un certain nombre de sources différentes
se recoupant, ne peut pas être récusé. Cet épisode s'explique par une
conjonction improbable d'évènements qui ont eu lieu au cours des siècles passés
mais qui n'ont plus lieu en France depuis des dizaines d'années.
Pour ne plus jamais revoir ça ! Une patte de loup de 1880 clouée sur une porte de grange dans le sud Cantal (photo J. MOREL)
Jusqu'au XIXème siècle, la densité de
population des loups était importante. Durant des siècles des hommes, puis des "louvetiers" ont entrepris de croiser des chiens avec des loups pour obtenir des individus plus "efficaces" à la chasse. Cela a impliqué la capture de louveteaux qui de fait ont été imprégnés par l'homme. Des générations de loups imprégnés et de chiens/loups mi-sauvages, mi-domestiques ont été créées. Ces individus dominés par leurs instincts sauvages ont souvent cherché à retourner vivre dans la nature et dès que l'occasion se présentait quittaient leur maître. Leur imprégnation par les hommes, les ont rendus familiers voire curieux envers leurs anciens maîtres, c'est à dire qu'ils ne les fuyaient plus et n'en avaient plus peur. Au XVIIème
siècle, ceci est attesté par le fait que l'entretien de murailles des
cimetières et l'apposition de pierres tombales étaient devenus nécessaire pour
éviter la visite de canidés indésirables et le
déterrement des cadavres. Des milliers de registres paroissiaux le démontrent.
Ceci ne valait que pour les grandes villes. Dans le reste de la France, ravagé
par les guerres incessantes, les famines et les épidémies, avant de s'occuper
des morts, il fallait chercher à survivre. Vers le XVème siècle, des canidés ont donc pu consommer de la chair humaine à la faveur de ces nombreux cadavres laissés
sans sépulture. Ainsi, dans ce contexte très précis (qui n'est
plus connu en Europe de nos jours) dans de très rares cas, des "loups" se sont spécialisés sur la
prédation d'hommes. Ces loups anthropophages, bien que rares ont marqués
l'histoire. Dans chacun de ces cas relatés, il s'agissait très probablement de loups imprégnés ou de chiens-loups. Les témoignage sont parfaitement concordant et attestent que dans chaque cas de prédations, les faits ont été attribués à 1 seul voire 2 canidés. Ceci ne correspond pas avec l'éthologie des vrais loups sauvages qui vivent en meute. Une fois imprégnés et ou croisés, ces "loups" retournés à la vie sauvage n'ont pas pu intégrer des meutes de façon définitive. Ils en étaient probablement exclus du fait de leur caractère hybride. Ce sont ces individus, seuls, n'ayant plus peur des hommes et aux abois, qui ont pu s'en prendre à des humains (surtout des femmes et des enfants). En Auvergne, une région a même du être rebaptisée suite à une série
d'attaques tragiques. L'impact de ces prédations sur la population Auvergnate
n'est bien sûr pas comparable à l'impact d'une guerre ou d'une épidémie. Une
estimation du nombre d'hommes prédatés par ces individus assimilés à des "bêtes" (les contemporains ne s'y été pas trompés. Ils avaient bien conscience qu'il ne s'agissait pas de "vrais loups") s'élèverait à 3000 morts en
France entre le XVème
et le XXème siècle
(d'après Moriceau, 2007). Ce nombre de victimes (malgré qu'il soit peu élevé et
étalé sur plusieurs siècles) et les attaques de loups malades de la rage ont
fini de rendre cette espèce indésirable auprès des hommes. Ainsi, via un système de prime
à sa destruction, le loup fut pourchassé jusqu'à son extermination totale de
France vers le milieu du XXème
siècle.
Les derniers
loups d’Auvergne ont été officiellement tués en 1927 (l’un en Haute-Loire, et
l’autre dans le Cantal à Saint-Jacques-des-Blats), mais un individu a été vu la
même année aux Essarts près du pont de Coindre (Gorges de la Rhue, Cantal) et,
d’après les journaux locaux, plusieurs loups réfugiés dans l’Aubrac en 1942,
ont été abattus près de Saint-Rémy-de-Chaudes-Aigues (Cantal). Le dernier loup
identifié avec certitude proche de l’Auvergne, a été tué en 1951 en Lozère
(Saint-Girons, 1973) alors que le dernier sujet sauvage en France l’a été en
1952 en Haute-Savoie (Hainard, 1961).
Depuis près de 30 ans, on assiste à un retour du Loup en France.
Les premiers
retours ont eu lieu dans le Mercantour depuis la fin des années 80. Un loup a
été tiré dans les Vosges en 1994. Il venait d'Italie. Comme cela a été démontré, le loup n'a
pas été réintroduit. De nombreux suivis GPS d'individus ont permis d'attester la distance incroyable que peut parcourir un loup (100-120 km en 24 heures, 2100 km en 21 jours pour une louve italienne suivie).
En Auvergne,
c'est en 1997 qu'un loup originaire des Abruzzes (Italie) après avoir été
observé pendant plusieurs mois est fauché par une voiture dans le Cantal
(Laveissière). C'est le premier cas en France du retour du Loup hors de l'arc alpin. En 1999, dans le Puy de Dôme (Apchat, Ardes-sur-Couze), un
loup (semble-t-il de souche italienne) est abattu par un berger croyant se
débarrasser d'un chien errant. En 2005, durant l'hiver, suite à une observation
directe d'un canidé correspondant à un loup, des carcasses de cerfs (17 au
total) complètement nettoyées à la manière du loup sont retrouvées en forêt
communale de Laveissière (Cantal). De sources officieuses, un loup aurait été
tiré en Margeride en 2006. En Lozère, depuis 2006, un couple de loups semble fréquenter
le secteur de Saint-Laurent de Muret. L'hiver 2008/2009, un loup est observé près du
Mont Lozère (les Bondons).
Suite à l'observation directe (photos et nombreux témoignages) et à l'analyse ADN sur deux années consécutives (2008 et 2009) d'un loup unique dans le Cantal (secteur nord des Monts du Cantal), le département a été classé en ZPP (Zone de Présence Permanente du loup). En 2012, un mâle identifié dans le Cantal par son ADN en 2008 est contacté en Lozère. Ces dernières années au moins 2 loups fréquentent les Monts du Cantal, au moins 1en Margeride, au moins 2 en Aubrac, au moins 2 vers le Velay-Meygal et 1 entre les Monts Dore et les gorges de la Rhue.
Suite à l'observation directe (photos et nombreux témoignages) et à l'analyse ADN sur deux années consécutives (2008 et 2009) d'un loup unique dans le Cantal (secteur nord des Monts du Cantal), le département a été classé en ZPP (Zone de Présence Permanente du loup). En 2012, un mâle identifié dans le Cantal par son ADN en 2008 est contacté en Lozère. Ces dernières années au moins 2 loups fréquentent les Monts du Cantal, au moins 1en Margeride, au moins 2 en Aubrac, au moins 2 vers le Velay-Meygal et 1 entre les Monts Dore et les gorges de la Rhue.
Ce retour
s'explique par le phénomène de dispersion. C'est le fait pour un loup de
quitter la meute et son territoire vital. C'est souvent le loup oméga (souffre-douleur de la meute qui sert de variable d'ajustement quand la nourriture vient à manquer ou que la meute devient trop grosse) qui est chassé de la meute ou qui part de sa propre initiative. Cette dispersion joue un rôle fondamentale dans
la reconquêtes de territoires, le maintien de la structure génétiques de la
population et la régulation de la dimension, l'organisation sociale des meutes
de loups. Elle est provoquée par des changements physiologiques (rut,
compétition pour la reproduction), par des agressions de dominants sur dominés,
par la restriction alimentaire. Cependant, la première raison de cette reconquête flamboyante actuellement en cours en France est due en grande partie à la politique française de régulation de la population par le tir de plusieurs dizaines de loups (jusqu'à plus de 100) tous les ans. Bien souvent, ce sont les couples alphas dominants qui s'exposent le plus en tête et queue de meute dans la nature et qui donc sont plus souvent abattus. Dès lors, lorsque le couple alpha ne peut plus réguler la reproduction au sein de la meute, celle-ci éclate et immédiatement toutes les femelles adultes peuvent se reproduire. Non seulement, ces tirs dispersent les meutes mais en plus accroissent le stress et donc la reproduction des loups. On ne pourrait pas mieux faire si l'on souhaitait accélérer la reconquête du loup en France. Ces tirs de régulations desservent en fait leur but et ne sont là que pour acheter la paix sociale. Néanmoins, la population de loups en France n'augmente pas aussi rapidement que les phénomènes cités juste avant ne le permettraient. Le premier obstacle à la survie des loups
est la persécution dont il fait l'objet (braconnage, piégeage, programme de
contrôle...). La régression de ses habitats de vie est la deuxième cause de
limitation de sa dispersion (collisions dues au trafic routier). Malgré cela, les
loups sont moins systématiquement pourchassés, l'espèce est protégée et il
n'existe plus de prime à sa destruction. Au final, tout ceci permet quand même un lent mais progressif
retour du loup dans ses anciens territoires.
Aujourd'hui,
avec une population estimée à plusieurs centaines d'individus en France, on constate que ce retour
est corrélé à la densité de proies présentes dans les territoires. Ce qui explique pour partie, que les zones
de montagnes abritant des populations de mouflons (préférés au chamois),
chamois, cervidés et ovins soient les premiers secteurs recolonisés.
Nous
savons que le chemin sera encore long et difficile pour parvenir à la présence
pérenne d'une population lupine viable en Auvergne, qui ne sera pas obtenue
sans une meilleure acceptation sociale de ce prédateur tout comme celle du Lynx
et de l'ours dans d'autres régions françaises.
Le loup vient d'être retiré depuis juin
2009, de la liste des animaux menacé de disparition, ce qui implique que les
programmes de tirs sont élaborés, non plus par le ministère de
l'écologie mais directement par les préfectures des département concernés. Le
sort du loup est donc débattu en local et non plus au niveau national d'où un
risque d'incohérence. De plus, les tirs ont lieu en dehors de la
présence des troupeaux aux estives. Le nombre de loups tirés en cours d'années est d'environ une centaine et peut être dépassé si cela est jugé
« nécessaire » par le préfet.
Entre éleveurs
rejetant ouvertement la présence du loup sur nos territoires mais espérant
secrètement toucher les subsides des compensations de dégâts sur troupeaux,
entre chasseurs n'acceptant pas d'avoir un concurrent sur leurs gibiers, le
loup peut jouer un rôle important dans l'équilibre des herbivores sauvages. Il
sélectionne ses proies selon la règle du moindre effort. Ainsi, en éliminant
les plus faibles il limite la propagation de maladies et permet aux plus forts
de se reproduire. Il maintient les herbivores sauvages à un niveau compatibles
avec les ressources du milieu et peut permettre d'éviter la dégradation de
certains milieux où ils ont tendances à se concentrer (les forêts par exemple).
Quant aux dégâts sur les troupeaux, ne devrait-on pas privilégier la prévention
à la gestion du loup ?
On le voit, une
question émerge sous ce conflit : l'homme peut-il légitimement se réserver pour
lui seul, au détriment des autres espèces, la possibilité d'exercer ses
impératifs vitaux (boire et manger) ? De ne concevoir les ressources, milieux
et espèces que pour son usage exclusif ? Cette question est au cœur du rapport
de l'homme à la nature. Avec le retour du Loup en Auvergne, elle est posé avec
force. Dans un contexte de prise de conscience de l'impératif de préserver
notre environnement, quelle sera la réponse que notre région voudra lui donner
?
Moriceau J. M., 2007 – Histoire
du méchant loup. 3000 attaques sur l'homme en France (XVème – XXème siècle), Editions
Fayard, 623 p.
Landry J. M., 2006 – Le loup, Editions
Delachaux & Niestle (Neuchatel), 240 pages.
Collectif, revue « La voie
du Loup », FNE, n°1 à 28
Saint Girons, M. C. 1973, Les
mammifères de France et du Bénélux (faune marine exceptée). Paris, Doin.
Hainard R. – 1961, Mammifères sauvages
d'Europe, Editions Delachaux & Niestle (Neuchatel), 2 V