mardi 3 janvier 2012

Etudier la nature oui mais pas sans déontologie...


Autant  nous sommes très prompts à dénoncer les exactions de nos semblables envers la nature, autant il ne serait pas honnête, ni objectif de ne pas balayer devant notre porte.

Sous prétexte que connaître la nature c'est déjà un peu la protéger, certains naturalistes simplement emportés par leur zèle ou sans scrupules, s'autorisent des écarts de conduite envers des espèces fragiles.

Ils ont, il est vrai, souvent pour objectif final de fournir des états de référence, des suivis afin de préserver ou de restaurer des milieux ou espèces qui sont malmenés par les activités humaines...

... mais la fin ne justifie pas les moyens.

Séance de mesures sur une chauve-souris après une capture. Cette pratique est strictement réservée aux naturalistes ayant une autorisation délivrée par les instances régionales.

Par inconscience ou, plus grave, par vanité, certains naturalistes ne reculent devant rien.

C'est au mépris du dérangement et du stress provoqués par certaines méthodes, qu'ils vont obtenir les résultats de leurs études : capture au filet, radiotracking, bagage, observation et/ou photo à proximité de sites de reproduction, d'hivernage ou d'hibernation...toutes ces méthodes doivent être mûrement réfléchies avant d'être déployées. Même si certaines ne sont utilisées que de façon anecdotique, leur impact n'est pas négligeable sur les espèces étudiées.

Autant les espèces courantes ne sont que peu affectées, autant les espèces fragiles, menacées ou rares les supportent difficilement car ce sont précisément ces mêmes espèces que les naturalistes étudient préférentiellement.

C'est triste mais nous sommes ainsi faits. Tout malade que nous sommes de trop vouloir posséder, toucher ou voir. Nos pulsions cupides et orgueilleuses nous poussent à enfreindre les  règles de déontologie les plus élémentaires.

Si la plupart des amoureux de la nature arrive à réfréner ces bas instincts, une minorité fait tâche et gangrène la communauté des naturalistes.

Par exemple,
  • La capture des chauves-souris est encore trop souvent utilisée comme méthode d'inventaire ou lors de sorties pédagogiques hors cadre scientifique. Le stress et le dérangement sur les animaux peuvent-être très impactants ;
  • Le radiotracking (comprendre le suivi par antenne radio des déplacements d'animaux préalablement capturés et équipés de puces émettrices) très perturbant pour les espèces est en pleine vogue. Son utilisation en augmentation représente une débauche de moyens pour des résultats peu extrapolables d'un site à l'autre ;
  • Le bagage des jeunes oiseaux est systématiquement utilisé sur certaines espèces pourtant menacées comme le Circaète Jean-le-Blanc. Dans ce cas précis les ornithologues postulent sur les causes de la chute observée de la reproduction sans même imaginer que leur mode de suivi, le bagage, puisse être l'une de ces causes. Une étude récemment publiée sur les manchots(1) a démontré que non seulement la survie des adultes mais aussi le succès reproducteur avaient été impactés par le marquage remettant en cause les résultats obtenus par ces suivis ;
  • Certaines espèces de plantes ont aujourd'hui disparu à cause de prélèvements trop importants dans le seul but de jaunir les planches d'herbiers de botanistes inconscients et atteints de collectionnite aiguë. Si les herbiers ont eu leur utilité par le passé, aujourd'hui, bien souvent, une bonne photo suffit ;
  • Plus grave encore, certains pseudo-naturalistes s'adonnent à leur activité favorite : la coche d'oiseaux. Ce passe temps qui se rapproche très insidieusement du comportement de prédateur consiste en une sorte de compétition à la publication d'observations de terrain. Le "jeu" consiste à être le premier à voir le retour des hirondelles. Qui annoncera en premier l'arrivée des Aigles bottés ? Qui a vu le plus d'espèces cette année ? Tout un tas de questions auxquelles seuls ceux qui ont un égo surdimensionné essayerons de répondre ;
  • Certains n'hésitent pas à faire plusieurs centaines de kilomètres et autant de pétrole brûlé dans un week-end pour "cocher" une espèce d'oiseaux avant tout le monde juste pour la gloriole... D'autres pour faire une photo vont jusqu'à grimper dans les nids d'espèces rares en pleine période de reproduction.
Généralement, ce type de naturalistes aurait très bien pu collectionner les clés de douze si le hasard ne leur avait pas mis entre les mains une paire de jumelles ou un appareil photo.
Piège entomologique à interception en forêt.


Lors de suivis ou de veilles sur des espaces naturels, le gestionnaire naturaliste devrait privilégier les programmes à long terme, aux méthodes passives et non invasives pour les espèces. Par exemple pour les chauves-souris, les méthodes acoustiques (études des cris ultrasonores) ont démontré leur innocuité et leur efficacité. L'observation à distance (à plus de 300 ou 500 m) des sites de reproduction de rapaces est bien plus efficace que de se poster sous le nid.

La déontologie voudrait que l'on privilégie les approches pérennes dans le temps et les plus neutres possibles pour les espèces. La pression de l'étude ou de tout comportement envers la nature devrait  être consciencieusement estimée à l'amont. Si certaines méthodes sont à bannir purement et simplement, le recours aux méthodes invasives citées ci-dessus devrait être envisagé dans des cas extrêmes, pour répondre à des questions très précises, et après avoir démontré l'inefficacité des méthodes douces. Ces études devraient être encadrées par un protocole scientifique rigoureux, un suivi et une analyse du retour d'expérience.

(1) : Reliability of flipper-banded penguins as indicators of climate change. 2011. Nature 469 : 203-206


5 commentaires:

  1. Dommage que la photo de cette chauve-souris manipulée soit faite avec une personne sans gants et surtout qu'un objectif supplémentaire apparaisse sur l'image ce qui laisse imaginer une série de plusieurs flashs, si l'on parle de déontologie, nous atteignons une limite je pense...

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    1. Bien vu. Les flashs sont très perturbants pour les animaux sauvages et encore plus pour les nocturnes. On ne devrait plus avoir besoin de faire des photos pour illustrer des rapports technique (sauf pour montrer un caractère faisant défaut dans l'iconographie de l'espèce en question). Les organismes spécialisés et internet (avec l'accord de l'auteur) peuvent en fournir des milliers.

      Sur les gants, c'est plus discutable. Sans gants, l'observateur manipule plus finement l'animal sans lui faire de mal. Il prend un risque certes avec les maladies potentiellement transmissibles par les animaux sauvages (comme domestiques d'ailleurs) mais c'est un risque calculé. Ici, il s'agit d'un oreillard sp. réputé pour son calme dans ce genre de manipulation et quasiment incapable de transpercer l'épiderme humain avec ses griffes et ses dents. Le risque est donc mineur pour l'observateur et l'animal est moins stressé.

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  2. Et les éoliennes qui vont hacher menu la gent ailée.

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